Des expertises vraiment simplifiées?
En préambule
En cette période (dé)confinement COVID-19, Le CEAB a organisé une soirée en visioconférence traitant de l’organisation pratique des expertises simplifiées auxquelles ses membres sont de plus en en plus souvent confrontés.
Le présent mémoire, à vocation technique et juridique, constitue la synthèse (morceaux choisis arbitrairement par les auteurs) des contributions suivantes, auxquelles il est renvoyé : D. Mougenot, « L’expertise simplifiée : un remède aux maux de l’expertise judiciaire ? », D.A.O.R., 2012, p.294 ; idem, « Les pièges de l’expertise », in Les pièges de la procédure civile et arbitrale dans la pratique (sous la coord. De G. Eloy), coll. Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles, Bruxelles, Larcier, 2019, pp. 44 à 75, spéc. pp. 49 à 53.
Elle a été complétée par les discussions qui se sont tenues lors de la soirée en visioconférence organisée par le Collège des Experts Architectes de Belgique du 17 septembre 2020.
1./ Intérêt de mesures simplifiées d’expertise
L’expertise judiciaire est la plus lourde des mesures d’instructions mises en place par le Code judiciaire : son impact sur le procès est bien souvent très conséquent, notamment parce qu’elle est bien souvent onéreuse et chronophage.
Or, l’article 875bis du Code judiciaire, impose au juge de « limiter le choix de la mesure d'instruction et le contenu de cette mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, à la lumière de la proportionnalité entre les coûts attendus de la mesure et l'enjeu du litige et en privilégiant la mesure la plus simple, la plus rapide et la moins onéreuse ».
La procédure d’expertise simplifiée instaurée par l’article 986 du Code judiciaire permet, à cet égard, d’éviter que le dossier ne s’enlise dans une longue procédure d’expertise, tout en permettant au magistrat d’obtenir, rapidement et à moindre coût, un avis technique.
Dans la pratique des membres participants à la visioconférence, deux constats s’imposent d’emblée :
- Les Cours et Tribunaux du Brabant-Wallon, Liège, Namur, Tournai et Bruxelles désignent de plus en plus les experts dans le cadre d’expertises simplifiées. Il s‘agit sans doute d‘une propension des magistrats à dédramatiser les expertises et à pousser les parties vers la conciliation. Nul n’ignore à ce jour les engorgements que subissent ces Instances, engorgements qui sont augmentés par la récente crise liée à la pandémie de coronavirus, dont nous ne sommes pas encore sortis.
- L’expertise classique présente deux principaux défauts : elle est chronophage et onéreuse. Son coûts se monte généralement à plusieurs milliers d’euros.
- Le magistrat reviendra sur l’optimiste qui lui avait fait opter pour une expertise simplifiée sur base de l’article 986 du Code judiciaire ; il invitera alors les parties à réagir pour que l’expert complète sa note technique.
- Le magistrat prévoira une seconde expertise simplifiée.
- En fonction des questions posées par les parties, des constats réalisés et des sondages ou investigations complémentaires à mener pour répondre aux questions posées ou encore de la nécessité de faire intervenir un sapiteur (géomètre, ingénieur stabilité, laboratoire…), le magistrat ordonnera une expertise classique pour laquelle il n’est pas interdit de conserver le même expert. En effet, celui-ci aura déjà une connaissance du dossier.
2./ Les alternatives à l’expertise judiciaire - Modalités
L’article 986 du Code Judiciaire permettre de trouver des solutions alternatives à ces deux inconvénients de l’expertise judiciaire.
Art. 986. En vigueur : 01-09-2007 ; Le juge peut désigner un expert afin qu'il soit présent lors d'une mesure d'instruction qu'il a ordonnée pour fournir des explications techniques. Le juge peut également désigner un expert pour faire rapport oralement à l'audience fixée à cet effet. Le juge peut enjoindre à ces experts de produire pendant leur audition des documents utiles à la solution du litige.
L'expert peut s'aider de documents. [Ces documents sont déposés au greffe après l'intervention de l'expert. Les parties ou leurs conseils peuvent en prendre connaissance.]
Cet article 986 du Code judiciaire permet au juge, par le biais de deux dispositifs, de s’adjoindre l’assistance d’un expert lors d’une mesure d’instruction et/ou d’entendre ses conclusions lors d’une audience.
En 2007, lors de la révision du Code judicaire, le législateur a mis en avant sur pied de l’art 986, court et succinct. Toutes les hypothèses qu’il sera possible de rencontrer lors de sa mise en application ne seront sans doute pas remplies, ce qui induit que des blancs seront laissés à son appréciation du magistrat officiant ou à celle de l’expert et des parties, dans le respect du cadre qu’il impose. Lors de la mise en pratique de ces expertises simplifiées, il y aura dans la plupart des cas des blancs à remplir.
2.1 Une mesure intermédiaire : la vue des lieux avec assistance d’un expert
Le magistrat pourra ainsi ordonner une vue des lieux, qui lui permettra de se rendre compte par lui-même de la nature du problème, tout en bénéficiant de l’éclairage technique de l’expert. Cette modalité est relativement peu onéreuse, puisque l’expert ne devra être rémunéré que pour une seule vacation, sans la moindre tâche rédactionnelle, moyennant cependant, le cas échéant, une étude préalable du dossier.
Le principal inconvénient de cette modalité est la nécessaire disponibilité du magistrat et du greffier, qui dressera par ailleurs son procès-verbal sur place, dans des conditions parfois inconfortables qui constitueront un obstacle à des constats longs et complexes.
Sur le principe, la vue des lieux est assez conformable pour l’expert qui ne devra pas rédiger de documents en fin de réunion, le Greffier rédigeant le procès-verbal de la vue des lieux. Par contre, il devra pouvoir répondre en live et sans filets à toutes les questions posées.
Une vue des lieux ne s’inscrit pas dans le Rôle du Tribunal : le magistrat ne doit pas l’organiser sur ses temps d’audience.
En vue des lieux, en présence du magistrat, de l’expert et des conseils techniques, les justiciables tentent de se montrer sous leur meilleur jour, ce qui facilite la conciliation qui aboutit généralement plus facilement. Les désavantages de ce mécanisme sont la nécessaire disponibilité du magistrat et de son greffier. La vue des lieux restent assez pratique pour des griefs assez succinctes. Elle permet fréquemment d’aboutir à des solutions conciliatoires. Il arrive également que, devant la complexité du processus, elle se prolonge par une expertise classique.
2.2 L’expertise simplifiée
Dans le cadre de l’expertise simplifiée à proprement parler, l’expert se rend (si nécessaire) sur les lieux et fait rapport à l’audience. Son travail est donc plus conséquent que dans le cadre de la simple vue des lieux avec expert décrite ci-avant, puisqu’il implique, outre l’examen du dossier et la vue des lieux, une synthèse de ses constats et une comparution devant le tribunal afin d’y faire rapport. Les frais sont donc, par la force des choses, un peu plus élevés.
Cette mesure simplifiée peut avoir des objets variés, la seule contrainte étant que l’expert puisse terminer son travail en une ou deux vacations. Elle ne convient donc pas lorsque la complexité du dossier implique des essais complémentaires, l’examen d’un dossier trop volumineux, le recours à un sapiteur,…
Le magistrat envisagera généralement l’expertise simplifiée s’il estime qu’un minimum de vacations de l’expert sont nécessaires.
Si l’expert reçoit d’important dossiers de pièces ou doit réaliser des investigations lourdes et destructrices, le principe de l’expertise simplifée sera mise à mal. Cette logique s’applique également s’il doit faire appel à un sapiteur.
La rapidité de ce procédé dépendra en réalité de l’encombrement du rôle du tribunal, qui doit pouvoir trouver une audience au cours de laquelle entendre l’expert. Si cette audience ne peut être trouvée à bref délai, le bénéfice de l’expertise simplifiée s’en trouvera réduit.
Le Tribunal invitera généralement les experts à dresser une note de synthèse, ce qui évite que le greffier ait à retranscrire les observations de l’expert lors de son audition. La durée nécessaire à la tenue de cette audience s’en trouve alors réduite.
Cette note, ensuite jointe au procès-verbal de l’audition d’expert, ne constitue pas un rapport d’expertise au sens de la procédure classique, et n’est donc pas soumise à son formalisme.
Si l’expertise simplifiée est menée à bien sans difficulté, rappelons que, comme pour les expertises classiques, il n’appartient pas à l’expert de libérer les lieux à la fin de ses travaux : l’expert devra par contre remettre les lieux dans les mains des parties lorsque toutes les constatations utiles ont été faites, ne fut-ce que pour lui permettre d’avoir une date pivot en cas de calcul de trouble de jouissance. Aux parties de décider, selon le stade de l’expertise, si elles prennent le risque de modifier les lieux avant l’émission des conclusions de l’expert. Cela n’est pas du ressort de l’expert.
Certaines juridictions vont plus loin et demandent à l’expert de déposer une note d’explications sans prévoir son audition à l’audience. Si cette pratique n’est pas régulière au regard des termes de l’article 986 du Code judiciaire, certaines décisions la valident, considérant que le Code judiciaire n’établit pas un numerus clausus des mesures d’instructions, d’autres modes pouvant être envisagés pour autant qu’ils respectent le principe du contradictoire.
La doctrine ne condamne pas cette jurisprudence, mais préconise de réserver son application à des cas particulièrement simples (constats limités, situations peu susceptibles de discussion sur le plan technique,…), eu égard à l’entorse faite à la seule forme de contradiction expressément prévue par l’article 986[1].
Le tribunal disposera toujours, en cas de problèmes, de la possibilité d’entendre l’expert ; une forme de contradiction pourrait par ailleurs être prévue en amont dans la mission d’expertise, laissant ainsi aux parties la possibilité de réagir à l’avis de l’expert (cf infra).
Pour les situations d’urgence ou les interrogations quant à l’importance ou aux travaux d’expertise à réaliser, l’expert ou la partie la plus diligente peut interroger le Tribunal sur base de l’article 973 du Code judiciaire, même si ce n’est pas techniquement un incident d’expertise.
Ils peuvent aussi profiter de l’audience qui est généralement fixée à brève échéances (trois à quatre mois), pour faire trancher les questions des suites éventuelles ou d’une prolongation de l’expertise simplifiée. Avec l’accord des parties, la note de synthèse peut proposer des investigations ou des suites pour certains points qui demanderaient des investigations plus importantes ou qui ne peuvent être réalisées dans le délai imparti. L’expert veillera dans tous les cas à garder en tête la volonté du législateur de réaliser une expertise rapide et peu couteuse.
Si des sondages ou des investigations plus lourdes s’avèrent nécessaires après une première réunion sur place, l’expert peut suggérer aux conseils et aux parties de faire rapport de ce qui a été constaté à ce stade lors de l’audience fixée et d’y décider avec le Tribunal comment mener ces investigations à bien et si celles-ci sont juridiquement nécessaires au vu des éléments mis en évidence. Ces investigations pourraient être menées dans le cadre de la prolongation de l’expertise simplifiée ou dans celui d’une expertise classique qui ferait l’objet d’une nouvelle décision, jugement ou ordonnance.
2.3 Motivations dans la pratique
S’il l’estime nécessaire, le Tribunal devra choisir entre ces deux modes d’expertises simplifiées. Ci-dessous un exemple, de motivation de ce choix, issu d’une décision du Tribunal de première instance du Brabant Wallon du 28 juin 2018.
3.1. S’agissant d’un conflit de voisinage, la solution au litige doit plus encore s’inscrire dans la durée et procéder dans toute la mesure du possible de démarches communes en vue d’un règlement librement consenti par les deux parties.
3.2. S’il n’est pas impossible que des facteurs psychologiques puissent intervenir, il n’en demeure pas moins que la solution au litige passe par des moyens techniques pour lesquels les lumières d’un homme de l’art sont nécessaires.
Toutefois et dans ce contexte, la vue des lieux par le juge n’est pas la mesure d’instruction la plus adéquate.
Il y sera préféré une expertise simplifiée dont la procédure est décrite ci-après.
3.3. Aux termes de l'actrice 962 du Code judiciaire :
«Le juge peut, en vue de la solution d'un litige porté devant lui [...], charger des experts de procéder à des constatations ou de donner un avis d'ordre technique. »
Ce faisant et par ses connaissances techniques, l'expert éclaire le Tribunal sur certains aspects du litige qui lui est soumis,
L'expert judiciaire ne se limite pas â collecter des données (constatations, mesures ou relevés). Il procède également à un travail d’élaboration conceptuelle (analyses, recherches, hypotlièses, etc.) (O. Mignoîet, L'expertise judiciaire, Larcier, 2009, p.39).
3.4. Aux termes de l'article 986 du Code judiciaire :
« [...] Le juge peut également désigner iin expert pour faire rapport oralement à
l'audience fixée à cet effet. Le. juge peut enjoindre à ces experts de produire pendant leur audition des documents utiles à la solution du litige.
L'expert peut s'aider de documents. Ces documents sont déposés au greffe après l'intervention de l'expert. Les parties ou leurs conseils peuvent en prendre connaissance.
L'expert prête verbalement serment [...].
Le juge taxe immédiatement les frais et honoraires de l'expert au bas du procès- verbal et il en est délivré exécutoire contre la partie ou les parties qu'il désigne et dans la proportion qu'il détermine. Dans la décision finale, ces montants seront taxés comme frais de justice. »
3.5. En synthèse, le principe est donc que l'expert se rende sur les lieux et fasse ensuite rapport à l'audience.
L'expert avertit les parties de sa vacation sur les lieux, sans être tenu de les convoquer si, après des propositions raisonnables, elles se montraient récalcitrantes à assurer le contradictoire de la mesure.
Dans le souci du contradictoire et la limitation du temps d'audience, l'expert est invité à établir une note de synthèse abrégée (quelques pages), non soumise à un quelconque formalisme (pas d'avis provisoire, ni formule de serment).
Cette note, de synthèse sera communiquée aux parties et déposée au greffe avant l'audience, afin de permettre la préparation des questions éventuelles.
L'expertise simplifiée implique en effet la convocation de l'expert et des parties à une audience de rapport.
2.4 Exemples d’interprétation de l’article 986 par les Cours et Tribunaux
Le premier exemple ci-dessous est issu d’un jugement du 30 janvier 2020 de la Première chambre du Tribunal Francophone de Bruxelles.
L'expertise simplifiée se distingue de l'expertise classique. Elle est organisée par l'article 986 du Code judiciaire. Elle a pour objet de permettre la constatation d'éléments techniques tout en limitant au mieux les coûts liés à l'expertise, ainsi que la durée de l'expertise.
Il n'y a pas de rapport proprement dit à rédiger. L'expert est invité à faire part de ses constats à l'audience. Il pourra produire des documents techniques ou des photographies à cette occasion, qui seront joints au dossier de procédure.
Pour faciliter l'audition par le tribunal, il est néanmoins conseillé que l'expert établisse une courte note récapitulative, de cinq pages au maximum, qui sera déposée au plus tard à
l'audience. Pour permettre aux parties d'y réagir en connaissance de cause, le tribunal invite l'expert à communiquer cette note ainsi que son état de frais et honoraires, par pli ordinaire (ou autre moyen de communication convenu entre parties), aux parties 10 jours au plus tard avant l'audition. Le rapport contiendra également l'état de frais et honoraires de l'expert, tenant compte du prescrit de l'article 986 du Code judiciaire, afin que celui-ci puisse être taxé lors de l'audience fixée pour l'audition de l'expert.
L'expert est invité à avertir les parties de son passage sur les lieux, afin de garantir l'accès aux lieux ainsi que la contradiction de ses constats. Le tribunal invite par ailleurs les parties, et leur avocat respectif, à être particulièrement vigilants quant aux possibilités de conclure un accord amiable par le biais de la conciliation à mener par l'expert judiciaire (ou par tout autre processus de médiation), ceci dans le but également de limiter les frais.
Le second exemple est issu d’un jugement du 30 juin 2020 de la Première chambre du Tribunal de l’entreprise du Hainaut, division Tournai.
L'expertise qui est décrétée n'est pas une expertise classique, il n'y a pas de rapport à rédiger. L'expert est invité à faire part de ses constats à l'audience. Il pourra produire tout document technique à cette occasion.
Concrètement, l'expertise se déroulera selon les étapes suivantes:
1. Dès qu'il est informé de sa désignation, l'expert avertit par pli ordinaire les parties et leurs conseils de son passage sur les lieux ou d'une réunion, à une date qui dans la mesure du possible a été convenue ou qu’il détermine d'office en avisant les intéressés de la date;
2. Les parties (ou leurs conseils) sont invitées à transmettre les pièces pertinentes de leur dossier avant passage sur les lieux ou réunion avec l'expert ;
3. À la date retenue, l'expert opère les constats nécessaires à la solution du litige. Il est suggéré qu'à l'issue de sa visite, il établisse une courte note récapitulative (3-4 pages maximum), qui sera déposée lors de sa comparution à l'audience prévue au jugement. En vue de permettre aux parties d'y réagir, l'expert communique cette note, par pli ordinaire, cinq jours au plus tard avant son audition par le tribunal ;
4. À l'audience, l'expert fait part de ses constats. Il peut produire à cette occasion tous documents techniques;
5. La mission de l'expert inclut la recherche d'une solution négociée, la plus à même de limiter le dommage potentiel de chacune des parties ;
6. Il n'y a pas de rapport à rédiger en vue de l'audience d’audition ; la note suffit. Une provision est prévue dans le jugement de désignation, laquelle constitue une avance ne représentant pas nécessairement la totalité du coût de l'expertise ;
7. Après l'audition de l'expert, le tribunal taxe ses frais et honoraires et il en est délivré exécutoire contre la partie ou les parties qu'il désigne et dans la proportion qu'il détermine. Dans la décision finale, ces montants seront taxés comme frais de justice ;
3./ Le respect du principe du contradictoire
A part en prévoyant l’audition de l’expert à l’audience, la loi ne prévoit pas le caractère contradictoire de l’exécution de l’expertise simplifiée. Ainsi, l’article 986 du Code prévoit que l’expert dépose au greffe les documents dont il se serait aidé après son intervention ; les parties peuvent en prendre connaissance au greffe, ce qui implique que ces documents ne leur sont pas notifiés en même temps que le procès-verbal d’audition.
La note de synthèse à déposer n’est pas visée par l’article 986. Toutefois, le jugement de désignation de l’expert demande généralement à l’expert de fournir les documents utiles à la solution du litige. L’expert est donc libre de définir les documents sur lesquels il estime devoir se reposer.
Si aucune audition n’est prévue, l’expertise ordonnée sort du cadre de l’article 986 du Code judiciaire. A priori, ce seront les parties qui risquent de s’en plaindre. Les parties pourraient retourner devant le magistrat demander l’application du 986.
Un magistrat qui interdit le dépôt d’une note de synthèse violerait l’article 986.
Il reste que le contradictoire et l’égalité des parties doivent être préservés. Précisément, en l’absence de cadre légal, une attention particulière doit y être réservée.
Il convient donc notamment, indépendamment du silence de la loi, que l’expert convoque l’ensemble des parties lors de sa vacation sur les lieux.
Concernant les prises de convenances qui sont généralement difficiles et chronophages, certains Greffes contactent au préalable l’expert pour imposer, en fonction de ses convenances, la date de la réunion sur place aux parties. Les parties et leurs conseils s’arrangent en général pour être présents à la date fixée, sans que cela ne fonctionne dans tous les cas.
Il est déjà arrivé que certains magistrats reprochent à l’expert d’avoir pris les convenances des parties dans le cadre particulier des expertises simplifiées. L’expert peut en effet tenter d’imposer la date de la réunion sur place, si cette date n’est pas imposée dans le jugement. En cas d’absence d’une partie, se posera toutefois la question du respect de la contradiction des débats. Il conviendra pour l’expert désigné de trouver un équilibre entre la rapidité et le respect du contradictoire. L’audience de désignation peut également servir à fixer la date de la première réunion, ce qui nécessitera que le Greffe appelle préalablement ou lors de celle-ci l’expert pressenti.
Si l’expert n’est toutefois jamais à l’abri d’un excès de sévérité du Tribunal, il a été constaté que certains magistrats estiment qu’il n’est pas nécessaire de prendre les convenances et que l’expert peut fixer d’autorité comme le juge. Une expertise simplifiée ne sera toutefois pas efficace si la totalité des parties ne sont pas présentes.
Si la charge de travail de l’expert ne lui permet pas de respecter le calendrier fixé, il en avertira directement les conseils afin d’obtenir leur accord quant à une prolongation du délai ou devra refuser la mission. Les conseils acceptent généralement, sauf urgence technique, la prolongation de délai pour la tenue d’une réunion sur place, qui est généralement moins éloignée que la fixation d’une nouvelle audience en désignation.
S’il établit une note de synthèse, il est conseillé de l’adresser aux parties quelques jours avant l’audience, afin qu’elles aient l’occasion d’en prendre connaissance et d’y réagir le cas échéant.
Ces modalités peuvent être suggérées dans la mission impartie à l’expert.
L’art 986 du Code judiciaire prévoit un rapport oral à l’audience. Cette présentation orale n’est pas la manière la plus efficace de permettre de retenir ce qui est dit. La plupart des Tribunaux inviteront l’expert à déposer une note de synthèse. L’idéal est que cette note soit communiquée avant le rapport oral de l’expert afin de garantir le respect des droits de la défense.
Si la transmission de la note de synthèse préalablement à l’audience n’est pas prévue par le Code judiciaire, force est de constater qu’elle l’est dans la majorité des jugements ordonnant des expertises simplifiées.
Lorsque les remarques ou questions des parties évoquées à l’audience sont simples, le greffier peut acter sur-le-champ les réponses fournies par l’expert. Rien n’empêche, si elles sont plus nombreuses ou complexes, de reporter l’audition de l’expert et d’inviter les parties à lui adresser leurs observations par écrit, afin qu’il complète sa note. L’on se rapproche alors du mécanisme de l’expertise judiciaire classique (avis provisoire, observations des parties, rapport final).
4/ Insuffisance de l’expertise simplifiée
Si les constats de l’expert et son rapport à l’audience devaient ne pas suffire à éclairer le tribunal, il est parfaitement envisageable, le cas échéant, d’ordonner la tenue d’une nouvelle expertise simplifiée pour compléter la première.
S’il devait s’avérer que le problème est plus complexe que ce qui apparaissait a priori, il est par ailleurs possible de recourir à une expertise classique, le cas échéant en désignant le même expert si cela ne pose pas de problème aux parties. Il pourra alors partir de ses premiers constats, qui ne devront pas être recommencés. À l’inverse, l’expert pourrait être remplacé dans l’hypothèse où il aurait déjà adopté une position que ne permettrait plus de garantir son impartialité.
Lors de l’audition de l’expert, trois cas de figure sont fréquemment rencontrés lorsque le dossier est plus complexe que prévu
Aux Tribunaux liégeois, certains magistrats ne fixent pas directement la date d'audience. Ils fixent une audience à une date relais afin que les avocats s'expliquent sur la nécessité d'audition de l'expert ou de modifier la voie que dossier doit prendre. Cette solution est pragmatique et ne surcharge pas le Rôle.
En général, lorsque la mission simplifiée se transforme en mission classique et que la date d’audience fixée dans le jugement de désignation n’est pas trop lointaine, l’ensemble des parties et conseils y participent pour s’en expliquer et décider de la mesure adéquate.
5./ Provision et honoraires
Conformément à l’article 986, le juge taxe immédiatement les frais et honoraires de l'expert au bas du procès-verbal et il en est délivré exécutoire contre la partie ou les parties qu'il désigne et dans la proportion qu'il détermine. Dans la décision finale, ces montants seront taxés comme frais de justice.
La loi n’impose pas la consignation d’une provision. La pratique varie d’une juridiction à l’autre, les juges ayant la liberté de choisir ce qui leur paraît le plus adéquat à cet égard.
Les montants prévus aux jugements ordonnant l’expertise simplifiée varient selon les juridictions de quelques centaines d’euros à plusieurs milliers d’euros.
En fonction des usages et coutumes régionales, il a été constaté que certains Tribunaux acceptent des consignations de provisions complémentaires et des libérations intermédiaires ; d’autres pas. Il appartiendra à l’expert désigné de s’informer auprès du Greffe de la vision qu’en a le magistrat.
Afin d’éviter toute contestation de ces prestations, il appartiendra à l’expert de décider lors de la première réunion du modus operandi exact qu’il propose de mettre en place. Il est fréquent par exemple que les parties demandent à l’expert de rédiger un rapport de la première réunion sur les lieux, prestations qui ne sont pas prévues expressément par le Code judiciaire.
6./ Conclusions
L’expertise simplifiée constitue donc une alternative très convaincante à l’expertise judiciaire, pour les dossiers qui s’y prêtent : « elle permet d’obtenir un avis technique à bref délai et à coût réduit, ce que l’expertise judiciaire classique ne permet plus ». De plus, elle« libère les experts du formalisme de l’expertise et leur permet de se concentrer sur l’aspect technique de leur travail »[2].
Durant l’expertise qu’il orchestre, l’expert veillera à ce que la volonté du Tribunal de mener l’expertise de manière simplifiée soit respectée. L’article 986 du Code judiciaire étant très court, les magistrats le complètent généralement dans le jugement ou l’ordonnance de désignation.
Il est conseillé à l’expert, si les parties ne lui demandent pas de faire de rapport de la ou des réunions qu’il organise, de faire valider tout élément complémentaire qu’il propose de mettre en œuvre et qui n’est pas expressément repris dans le code judiciaire ou dans le texte de sa mission.
Rappelons pour clôturer que si l’expertise est vue comme longue, onéreuse et incertaine, l’article 875bis du Code judiciaire, impose au juge de « limiter le choix de la mesure d'instruction et le contenu de cette mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, à la lumière de la proportionnalité entre les coûts attendus de la mesure et l'enjeu du litige et en privilégiant la mesure la plus simple, la plus rapide et la moins onéreuse ».
Dans le contexte actuel, afin que les expertises restent accessibles à tous les justiciables, le recours à des expertises simplifiées reste un moyen de réduire les coûts, si les règles sont fixées dès le départ et que les parties et les experts désignés s’y confortent.
Ce mémoire a été rédigé grâce
à l’aimable contribution de
Maître Bernard FRANCIS
Avocat au barreau du Brabant Wallon
Maître Antoine GILLET
Avocat au barreau du Brabant Wallon
Assistant à l’UCLouvain et à l’Université Saint-Louis Bruxelles
Monsieur Cédric BOURGOIS
Architecte et expert
Wavre, le 10 octobre 2020
[1] D. Mougenot, « Les pièges de l’expertise », in Les pièges de la procédure civile et arbitrale dans la pratique (sous la coord. De G. Eloy), coll. Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles, Bruxelles, Larcier, 2019, p. 52, no 12
[2] D. Mougenot, « L’expertise simplifiée : un remède aux maux de l’expertise judiciaire ? », D.A.O.R., 2012, p.298
Attachments
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