COVID-19 et question de délai

Cette analyse a été réalisée par Maître Bernard FRANCIS à l'attention des membres du Collège en cette période où les questions posent plus de questions qu'elles n'apportent de réponses.

I. Cadre législatif.

La loi du 27 mars 2020 habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19 (M.B., 30 mars 2020, p. 22056) accorde au Roi la possibilité, pour lutter contre l’épidémie du coronavirus, de prendre par arrêté diverses mesures, notamment afin de garantir le bon fonctionnement des instances judiciaires, et plus particulièrement la continuité de l'administration de la justice, tant au niveau civil qu'au niveau pénal, dans le respect des principes fondamentaux d'indépendance et d'impartialité du pouvoir judiciaire et dans le respect des droits de la défense des justiciables.

Pour ce faire, le Roi peut notamment :

- adapter l'organisation des cours et tribunaux et autres instances judiciaires, en ce compris le ministère public, les autres organes du pouvoir judiciaire, les huissiers de justice, experts judiciaires, traducteurs, interprètes, traducteurs-interprètes, notaires et mandataires de justice;

- adapter l'organisation de la compétence et la procédure, en ce compris les délais prévus par la loi (L. 27 mars 2020, art. 2 et 5, 7°)

C’est sur cette base qu’a été pris l’arrêté royal n°2 du 9 avril 2020 concernant la prorogation des délais de prescription et les autres délais pour ester en justice ainsi que la prorogation des délais de procédure et la procédure écrite devant les cours et tribunaux (M.B., 9 avril 2020, p. 25727).

II. Prolongation des délais de procédures sanctionnés.

L’article 1er, §2, al. 1 prévoit que « Dans les procédures introduites ou à introduire devant les cours et tribunaux, à l'exception des procédures pénales, à moins qu'elles ne concernent uniquement des intérêts civils, et des procédures disciplinaires, y compris les mesures d'ordre, les délais de procédure ou pour exercer une voie de recours au sens de l'article 21 du Code judiciaire qui expirent au cours de la période visée au paragraphe 1er, prolongée le cas échéant, et dont l'expiration entraîne ou pourrait entraîner la déchéance ou tout autre sanction si l'acte n'est pas accompli en temps utile, sont prolongés de plein droit d'une durée d'un mois après l'issue de cette période prolongée le cas échéant ».

Autrement dit, lorsqu’un délai de procédure dont l’expiration entraîne une sanctiondélai de rigueur ») vient à échéance entre le 9 avril 2020 et le 3 mai 2020, ce délai est reporté au 3 juin 2020.

L’arrêté royal ne prévoit donc pas de conséquence en ce qui concerne les délais dits « d’ordre », dont le non-respect ne serait pas sanctionné (ex. : délais impartis à l’expert pour accepter la mission qui lui est confiée et communiquer aux parties la date de début de ses travaux, conformément à l’art. 972 C. jud).

Dans le cadre de l’expertise, s’agissant de délais auxquels s’applique cette prolongation, l’on songera essentiellement au délai de réponse à l’avis provisoire, qui doit être fixé par l’Expert si cela n’a pas antérieurement été fait par le juge, conformément à l’article 976 du Code judiciaire.

Si les parties se voient assigner un délai d’observations à l’avis provisoire qui arrive à échéance entre le 9 avril 2020 et le 3 mai 2020, elles auront donc jusqu’au 3 juin 2020 pour adresser leurs observations.

III. Report des délais subséquents à due concurrence.

L’art. 1er, §2, al. 2 prévoit que « si l'application de l'alinéa 1er entraîne la prolongation d'un délai, l'échéance des délais qui suivent éventuellement est adaptée de plein droit conformément à la durée de la prolongation visée au premier alinéa ».

En cas de prolongation d’un délai de procédure jusqu’au 3 juin, les délais subséquents sont donc reportés d’une durée équivalente à cette prolongation dont le premier délai a fait l’objet.

Concrètement, il suffit donc de déterminer le nombre de jours que la prolongation du premier délai au 3 juin fait gagner, et ajouter ce nombre de jours aux échéances suivantes.

Exemple :

Les parties à un litige devaient adresser leurs observations à l’avis provisoire de l’expert pour le 27 avril 2020, puis leurs observations en réplique à celles des autres parties deux semaines plus tard, pour le 11 mai 2020.

Le premier délai est, conformément à la règle de l’art. 1, §2, al. 1er, reporté au 3 juin 2020.

Il convient de déterminer la durée dont ce délai est ainsi prolongé.

Il est prolongé de 37 jours :

  • du 28 au 30 avril 2020 : 3 jours
  • du 1er mai au 31 mai : 31 jours
  • du 1er juin au 3 juin : 3 jours.

L’échéance du second délai doit donc être reportée de 37 jours, soit, en partant du 11 mai 2020, un report au 17 juin 2020.

IV. Applicabilité des règles classiques de computation des délais.

Conformément à l’art. 1er, §2, al. 3, les règles des articles des articles 52, alinéa 1er, 53, 54 en 55 du Code judiciaire sont d'application.

Cela entraîne notamment que lorsque le délai arrive à expiration un samedi, dimanche ou jour férié légal, il est reporté au plus prochain jour ouvrable (art. 53, al. 2).

Cette règle pourra avoir des conséquences, en amont comme en aval :

1er exemple :

les parties se voient accorder un délai pour émettre leurs observations à propos d’un avis provisoire qui expire le 1er mai 2020.

Le 1er mai étant un jour férié légal, l’échéance de ce délai est reportée au plus prochain jour ouvrable, soit le lundi 4 mai 2020.

Puisqu’on se situe hors de la période compris entre le 9 avril et le 3 mai 2020, il ne devrait pas y avoir de prorogation du délai, ni des éventuels délais subséquents – sauf extension de la période de crise par arrêté royal.

2ème exemple :

Les parties se voient accorder un délai pour émettre leurs observations à propos d’un avis provisoire qui expire le 17 avril 2020, puis ensuite leurs observations en réplique à celles des autres parties pour le 11 mai 2020.

Le délai pour la première note d’observations est reporté au 3 juin 2020, soit une prolongation de 47 jours.

L’échéance du délai pour la note d’observations en réplique, initialement prévue le 11 mai 2020, doit donc être reportée de 47 jours également, soit un report de l’échéance au samedi 27 juin 2020.

Conformément à la règle de l’art. 53, al. 2 C. jud., le jour de l’échéance est reporté au plus prochain jour ouvrable, soit le lundi 29 juin 2020.

V. Sort des audiences programmées.

Si l'application de l'alinéa 1er ou de l'alinéa 2 a pour conséquence que le dernier délai expire moins d'un mois avant l'examen de l'affaire à l'audience, celle-ci est remise de plein droit à la première audience disponible un mois après l'expiration du dernier délai et dont la date sera fixée conformément à l'article 749 du Code judiciaire.

VI. Dérogations conventionnelles.

Ces règles sont celles qui sont applicables de plein droit.

Rien n’exclut toutefois – principe dispositif oblige – que les parties choisissent, d’un commun accord, de s’en tenir aux délais initialement prévus ou de maintenir l’audience initialement prévue indépendamment de l’expiration du dernier délai moins d’un mois avant cette date.